LES TRANSPORTS : ENJEU MAJEUR DANS LES AGGLOMERATIONS

article à paraître dans Critique Communiste revue de la LCR 

 

Les transports constituent un sujet particulièrement vaste et complexe, pour différentes raisons :

-         les nombreux types de transports, depuis l’avion, jusqu’à la marche à pied.

-         Les transports touchent directement à des domaines aussi variés que l’économie, les questions sociales, l’énergie, l’environnement, l’aménagement du territoire.

-         La multiplicité des financements, et donc des lieux de décsion: Etat, toutes les collectivités locales, patronat, et... usagers.

 

N’étant pas un spécialiste de la question, je ne peux prétendre aborder ce sujet dans toute son étendue. La visée sera donc plus limitée : les transports et les collectivités territoriales, et plus précisément dans la perspective des élections municipales de 2008, de façon à mieux armer la LCR dans ce domaine.

 

Et comme il faut bien prendre les problèmes par un bout, je propose de partir du périmètre le plus fonctionnel, celui où l’on retrouve tous les intervenants, mais aussi celui où une politique locale des transports peut trouver sa cohérence : la communauté d’agglomération. En effet, si un réseau de pistes cyclables peut être mis en place dans n’importe quelle ville, c’est un non-sens de ne penser les transports en commun, les questions de rocades, les TER, le trafic routier, dans le seul périmètre d’une ville au sein d’une agglomération dix ou vingt fois plus peuplée.

 

Je partirai donc de ce cadre (l’agglo) pour déboucher sur une série de remarques plus générales et de propositions pour les prochaines élections municipales.

 

I / Les enjeux du P.D.U. :

 

1- le contexte juridique et institutionnel :

l’Assemblée na tionale et le Sénat ont adopté la Loi sur l’Air et l’Utilisation rationnelle de l’Energie (loi n° 96.1236 du 30 décembre 1996) qui oblige à l’élaboration d’un Plan de Déplacements Urbains (PDU) dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. L’article 14 de la Loi de décembre 96 apporte des modifications à l’article 28 de la loi du 30 décembre 1982 d’Orientations des Transports Intérieurs (L.OT.I.). Extraits de la rédaction des nouveaux articles :

Article 28 :

« Le PDU définit les principes de l’organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement, dans le périmètre des transports urbains. Il doit être compatible avec les orientations des schémas directeurs et des schémas de secteur, des directives territoriales d’aménagement définies par le Code de l’Urbanisme ainsi qu’avec le plan régional pour la qualité de l’air s’il existe. Il couvre l’ensemble du territoire compris à l’intérieur du périmètre (...) Il a pour objectif un usage coordonné de tous les déplacements, notamment par une affectation appropriée de la voirie, ainsi que la promotion des modes les moins polluants et les moins consommateurs d’énergie.»

Article 28-I :

« Les orientations du PDU portent sur :

-         la diminution du trafic automobile;

-         le développement des transports collectifs, ..., la bicyclette et la marche à pied;

-         l’aménagement et l’exploitation du réseau principal de voirie d’agglomération, afin de rendre plus efficace son usage... ;

-         l’organisation du stationnement... ;

-         le trans port et la livraison des marchandises... ;

-         l’encouragement pour les entreprises... à favoriser le transport de leur personnel... par l’utilisation des transports en commun et du covoiturage. »

Article 28-II :

Le PDU est élaboré... à l’initiative de l’autorité compétente pour l’organisation des transports urbains. Les services de l’Etat sont associés à son élaboration. Les représentants des professions et des usagers des transports, les chambres de commerce et d’industrie et les associations agréées de protection de l’environnement sont consultés à leur demande sur le projet de plan.

Le projet de plan est arrêté par délibération de l’Autorité Organisatrice puis soumis pour avis aux conseils municipaux, généraux et régionaux intéressés ainsi qu’aux Préfets. Le projet auquel sont annexés les avis est ensuite soumis à l’enquête publique.

Eventuellement modifié, le plan est approuvé par l’organe délibérant de l’Autorité Organisatrice (...). Au terme d’une période de cinq ans, le plan fait l’objet d’une évaluation et est révisé le cas échéant. »

 

2- le PTU :

Le PTU (Périmètre des Transports Urbains) est le périmètre dans lequel s’applique le PDU. Il n’est pas forcément limité à la communauté d’agglo. Il peut intégrer, aux côtés de la communauté d’agglo, des syndicats intercommunaux, ou des communes. On remarquera que ce périmètre n’a rien de scientifique. Avec l’étalement urbain et le fait que de nombreux salariés vivent de plus en plus loin de leur lieu de travail, il serait logique d’élargir le PTU à de nombreuses petites communes périphériques du PTU.

 

3- les acteurs institutionnels :

L’Autorité Organisatrice est donc un syndicat mixte au sein duquel sont représentés les deux acteurs principaux avec leurs propres compétences : les communes (pouvoir de police, stationnement, circulation), les conseils généraux (routes, transports communs non-urbains, transports scolaires, réseau cyclable)

Le conseil régional intervient sur les routes et les TER

L’Etat intervient sur les réseaux nationaux et internationaux et sur les transports en commun.

Interviennent aussi la DRIRE (Direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement) et la DIREN (Direction régional de l’environnement), par le biais de différents outils: le PRQA (Plan régional de la qualité de l’air) et le PPA (Plan de protection de l’atmosphère).

 

Quelques remarques sur des évolutions récentes concernant le rôle des collectivités locales :

- Les régions bénéficient d’un transfert partiel de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). Les conseils régionaux peuvent en moduler le taux en fonction de leurs besoins. Il est prévu que les régions reçoivent 2,2 milliards d’euros au titre de la TIPP d’ici 2008. De même pour les départements. Cette mesure est destinée à financer les coûts de la décentralisation. Mais on voit qu’elle peut être contradictoire avec le développement des transports collectifs.

- La décentralisation va peser de toute façon très lourd dans les politiques de transports. En dehors des TER dévolus déjà aux régions, les départements se voient confiés la plupart des routes nationales.

- Enfin, il faut rappeler que depuis avril 2004, l’Etat a supprimé ses subventions aux réseaux de transports en commun en site propre (métro, tram, bus). Cela concerne une trentaine d’agglos ayant des projets de TCSP.(1)

 

4- le financement :

Le financement du PDU repose sur quatre sources:

-les recettes liées à l’exploitation du réseau

-les contributions des collectivités locales parties prenantes du syndicat mixte: conseil général, , communauté d’agglo, syndicats de communes et communes faisant partie du PTU.

-l’Etat par le biais d’aides à l’investissement.

-le Versement Transport des entreprises.

 

Si on prend l’exemple de Toulouse, le PDU approuvé en 2001 trouvait son financement annuel dans :

-le Versement transport : 110 millions d’euros

-les recettes des ventes des titres de transport : 40 millions d’euros

-les aides de l’Etat : 30 millions d’euros

-les contributions des collectivités : 58 millions par an (Conseil général : 28 m. ; Grand Toulouse : 28 m. ; Sicoval et autres communes : 2 m.)

 

Deux éléments sautent aux yeux : l’importance du Versement transport, et la faiblesse des recettes liées à l’exploitation du réseau. Ceci sera à prendre en compte pour nos propositions.

 

5- les débats et luttes sur le PDU :

Quand on voit l’ensemble des domaines pris en compte par le PDU – transports en commun, voitures, deux roues, charte de la marche à pied, qualité de l’air, le bruit, le stationnement, la livraison des marchandises,... – on comprend facilement qu’il suscite une multitude de réactions d’associations les plus diverses. Dans toutes les villes nous avons été amenés à soutenir ou à participer même à telle ou telle lutte ayant à voir plus ou moins directement avec le PDU. La difficulté est d’arriver à construire un point de vue global sur la question. Les Verts ont une tradition d’élaboration en la matière, et une association comme les Amis de la Terre est également très active sur le sujet. Pour reprendre l’exemple de Toulouse, un nombre important d’associations se sont regroupées au sein d’un Collectif-PDU pour mener les débats, pour intervenir dans les instances de concertation mises en place dans le cadre de la procédure d’élaboration du PDU, et au final pour élaborer un PDU-Alternatif. Sauf erreur de ma part liée à un défaut d’information, je ne pense pas que le Collectif ait réussi à infléchir de manière significative le projet initial du PDU. Mais ce type de travail est fort utile. Il permet de dépasser les points de vue sectoriels ou géographiquement limités.

 

II / Pistes de réflexion et propositions :

 

1-Articuler le local et le global :

Le choix de commencer ce texte par l’analyse du cadre institutionnel local que constituent agglomérations et PDU, ne signifie pas du tout qu’il faille se couler dans ce moule. Bien au contraire. Nous devons partir d’une analyse globale du rôle des transports dans la société capitaliste. C’est d’ailleurs ce que nous avions fait – les élus LCR-100% à Gauche en Midi-Pyrénes – au moment des élections régionales de 2004, dans un 4 pages sur les transports. L’édito reste entièrement d’actualité :

 

« En France, le transport routier a plus que doublé en quinze ans, alors que le fret ferroviaire a baissé de 30% en 25 ans. Depuis 1970, la part du fret ferroviaire de marchandises est passé en Europe de 21,1% à 8,4%. Ces trente dernières années, 1200 km d’autoroutes ont été ouverts chaque année, alors que 600 km de rail disparaissaient. La route est directement responsable de la mort de plus de 40 000 personnes par an en Europe, sans compter le taux de mortalité supérieur dans les zones urbaines fortement polluées par les transports. Le transport routier génère plus d’un tiers des émissions de CO2, sans oublier les nuisances associées : pollution sonore, emprise croissante sur le territoire.

Le Livre blanc européen prévoit pour 2010, une augmentation de 50% du trafic poids lourd, stimulé par l’élargissement de l’Europe. Et même si les soixante mesures préconisées par le Livre blanc étaient suivies d’effet, l’augmentation prévue du seul trafic poids lourd serait encore de 38%.

Ces tendaces lourdes sont liées au rôle de la circulation des marchandises dans une économie où le développement des échanges est présenté comme la meilleure chance pour le développement économique. (...).

Une étude menée à la demande de l’Union européenne a fait apparaître que les coûts externes des différents modes de transports représentaient 7,8% du PIB des pays concernés : 57% de ces coûts sont dus à l’automobile, 29,4% au camion, 6% à l’avion, 1,9% au train et 0,5% à la voie d’eau.

Cette externalisation des coûts profite aux industriels et à la grande distribution. Ce que le consommateur croit gagner au supermarché est perdu en impôts, dégradation de l’environnement et drames sociaux. »

 

Articuler le local et le global signifie à titre d’exemple que dans la revendication d’un réseau TER à la hauteur des besoins (en particulier pour se rendre à son travail), on n’oubliera pas de rappeler que nous sommes contre la séparation SNCF / RFF, que la décentralisation fait reposer sur les régions l’essentiel de la charge financière et prépare la privatisation, alors que la SNCF donne la priorité aux grandes lignes et au TGV tout en fermant les petites lignes et petites gares et en réduisant le personnel.

 

2-Les coûts réels du transport routier :

L’internalisation des coûts du transport routier, et notamment des coûts environementaux (pollution, dégradation des routes) est une question clé. Elle doit avoir pour objectif affiché (avec la taxation du gazole, les péages, taxe à l’essieu) de réduire le parc poids-lourd et la circulation des marchandises par ce mode de transport.

 

3-Les investissements :

L’une des conséquences d’une réelle politique en faveur du fret, du ferroutage, de développement des transports collectifs, et ceci à tous les niveaux – de la commune à l’Europe – est d’exiger des investissements très lourds. Rien de significatif ne se fera sans de tels choix politiques, et en particulier la réduction de l’utilisation de la voiture.

 

4- Le logement :

Il est évident que la question des transports est étroitement corrélée à celle du logement. La spéculation foncière et les quartiers hors de prix des grandes villes (et plus seulement de leur centre comme c’était encore le cas il y a une dizaine d’années), obligent les salariés à se loger à des distances dépassant souvent les cinquante km de leur lieu de travail.

 

4- Pour des régies publiques :

Evidemment, comme pour l’eau, nous nous prononçons contre les délégations de service public (DSP) à de sociétés privées. Nous sommes pour des régies municipales (ou au niveau de l’intercommunalité). On notera que dans le domaine des transports locaux, la différence entre régie publique et DSP n’a pas le caractère explosif qu’elle revêt dans le domaine de l’eau. Le retour en régie directe pour l’eau se traduit immédiatement par des baisses spectaculaires des tarifs, sans que cela ne nuise en rien à la qualité de l’eau ni aux investissements nécessaires. Il n’en va pas de même pour les transports. Ne serait-ce que pour une raison : alors que la loi impose que le service de l’eau (et de l’assainissement) présente des budgets en équilibre, les services de transports sont fortement déficitaires et ne peuvent reposer sur la seule contribution des usagers.

Dès lors, si l’on veut que les usagers restent attachés à un service public local des transports, en dehors des questions de tarification et de qualité du service, la question démocratique me semble très importante. Les comités de quartiers et les syndicats (problème du trajet domicile-travail) doivent pouvoir peser directement sur les décisons politiques.

 

5-La question de la gratuité :

Certaines villes ont déjà mis en oeuvre la gratuité des transports en commun : Colomiers et Compiègne depuis plus de trente ans. Ces dernières années s’y sont ajoutées Châteauroux, Issoudun, Mayenne, Vitré. D’autres villes européennes, en Espagne et en Belgique ont fait de même. A chaque fois cela s’est accompagné d’un accroissement massif du nombre d’usagers des transports en commun, multiplié quasiment par trois à Vitré et par neuf à Hasselt en Belgique.

En réponse, note Bruno Kozole dans un article paru dans Pour n°120, la revue de la FSU, « les opposants au principe de gratuité avancent que ce qui est réalisable pour les petites villes, où les recettes de billeterie ne sont pas élevées ( 420 000 euros et 14% du coût du service à Châteauroux ), ne l’est pas dans les grandes villes où supprimer ces recettes aurait, en raison de la complexité et de la diversité du réseau, des conséquences financières beaucoup plus lourdes. Ainsi la vente de titres de transports et abonnements rapporte 125 millions d’euros aux TCLyonnais, qui possède le deuxième réseau de transport en commun français. Toutefois ces recettes ne représentent que 18% du coût d’exploitation, desquels il faut aussi déduire les frais liés à la fabrication des titres et au contrôle qui n’auraient plus lieu d’être en cas de gratuité. Donc si en masse le coût de la gratuité est plus élevé que sur des petits réseaux, en proportion on reste sur des valeurs comparables à celles de villes de moindre importance.»

 

On notera qu’à Toulouse, les recettes représentent comme à Lyon le même taux de 18% du coût d’exploitation. La perte des recettes liées à la gratuité ne représente donc pas un obstacle financier majeur, surtout si l’on tient compte de tous les avantages qui en résultent et des économies induites. Mais l’aspect le plus intéressant peut-être est le fait que la contribution la plus importante vient des entreprises : 46% du budget à Toulouse. Le Versement transport est acquitté par toutes les entrepises privées ou publiques d’au moins neuf salariés. Son taux est plafonné à 1,80% de la masse salariale, mais il est souvent inférieur et tourne autour de 1,75%. Alors que le trajet domicile-travail est de plus en plus problématique pour de nombreux salariés, ne serait-il pas logique de renforcer la contribution des entreprises aux transports collectifs ?

 

A l’occasion des prochaines élections municipales, la LCR devra inscrire dans son programme la gratuité pour tous des transports en commun urbains (bus, métro, tramway), et défendre le principe de la gratuité des déplacements pour les trajets domicile-travail. Cette dernière exigence suppose pour les grandes agglomérations de mettre en place un réseau TER extrêmement développé (cadencement, rapidité) bien articulé au réseau de transports en commun urbains. Faute de quoi, un-e salarié-e, plutôt que de prendre sa voiture jusqu’à la gare, puis le train, et enfin le métro suivi d’un bus, préfèrera à juste titre utiliser sa voiture pour se rendre directement à son travail.(2)

 

Pour prendre les problèmes par un autre bout, on peut résumer les enjeux de la manière suivante : est-il possible, au niveau d’une agglomération, par une politique conséquente, de réduire de façon significative ( disons 15 %) l’utilisation de la voiture ? Je ne sais pas si des modélisations ont été réalisées, mais j’ai tendance à penser que l’emprise de la voiture (et des poids lourds) est telle dans notre vie quotidienne, qu’un tel objectif me semble difficilement réalisable par les seules vertus des choix politiques locaux. Des orientations politiques, de nouvelles législations et des investissements massifs, tant au plan national qu’européen, restent le passage obligé pour atteindre ces objectifs.

 

LucienSANCHEZ

Novembre 2007

 

(1)Il est possible que cette aide soit rétablie, suite au Grenelle de l’environnement, mais cela reste à vérifier.

(2)Il faudrait aborder aussi le délicat problème des transports en zone rurale ou : comment se passer de la voiture à la campagne ? Des associations ont proposé la mise en place d’un service public de location de voitures.

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