Le nucléaire : une énergie marginale et en déclin

Planifions dès maintenant la sortie du nucléaire
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La catastrophe de Fukushima est révélatrice du danger que représentent le nucléaire et sa gestion opaque et irresponsable par les gouvernements et les industriels. Une sortie rapide du nucléaire est plus que jamais nécessaire et possible.

Plus de quinze jours après le séisme et le tsunami qui ont frappé le nord-est du Japon, l’opacité règne toujours sur l’accident nucléaire en cours à Fukushima. La situation s’avère de plus en plus grave. Pour la première fois, de l’eau fortement radioactive a été découverte à l’extérieur des bâtiments. Le taux d’iode 131 atteignait dimanche dans l’eau de mer un niveau près de 2 000 fois supérieur à la normale. Tepco, l’exploitant du site, annonce avoir détecté des traces de plutonium en cinq points différents dans le sol de la centrale. Le Japon a demandé l’aide de l’industrie française. L’inquiétude internationale se porte particulièrement sur le réacteur n° 3, qui utilise du combustible MOX. Vendu par Areva, ce mélange ajoute à l’uranium du plutonium. Ce dernier est extrêmement mortel et il faut 24 400 ans pour qu’il perde 50 % de sa radioactivité.
Les négligences de Tepco sont reconnues. Une trentaine d’éléments n’ont pas été contrôlés lors de la dernière maintenance. La société avait annoncé, en 2003, chercher à réduire ses coûts de maintenance pour « sécuriser » ses profits ! Le 25 mars, il a été conseillé aux habitants situés entre 20 et 30 km autour de la centrale de quitter les lieux. Mais, selon de nombreux experts, cette zone devrait aujourd’hui être étendue à 80 km, si ce n’est plus.
Sans aborder à nouveau les terribles et durables conséquences sur la nature et les humains à proximité de l’accident, notons que son impact politique se fait sentir dans le monde. Les gouvernements promettent tests et audits de leurs centrales, bien que dans des conditions de transparence insuffisantes et suivant des règles très variables. Dans bon nombre de pays, les projets de nouveaux réacteurs sont remis en cause, voire annulés. Le combustible MOX est mis en accusation.
Contrecoup de la crise, en Allemagne, les élections du 27 mars permettront aux Verts de présider le Land le plus industrialisé, contrôlé jusqu’à présent par un fervent défenseur du lobby nucléocrate !
Le souhait de sortir rapidement du nucléaire s’exprime en bien des pays, nucléarisés ou non. Il est urgent d’en finir avec cette technologie. En commençant par arrêter immédiatement tous les projets de nouveaux réacteurs, en fermant les centrales vieillissantes, en stoppant les programmes d’armement atomiques et en engageant un plan de sortie de l’ensemble de la filière, rapide et définitif. Définitif parce que le risque nucléaire ne peut être éradiqué, même en ce qui concerne la gestion des matières premières et des déchets radioactifs. Rapide parce que nous ne pouvons faire durer plus longtemps la menace qu’il fait porter sur l’humanité. L’héritage du nucléaire existant sera déjà bien lourd à porter pour les générations à venir.
En France, les conditions d’une sortie en dix ans ont été établies par des études sérieuses. Elles permettent, malgré le recours aux énergies fossiles en période de transition, de relever le défi du réchauffement climatique. La solution ne se réduit pas à des mesures techniques car il s’agit de rompre avec la boulimie énergétique d’un système capitaliste productiviste – ce qui exige l’expropriation des grands groupes du secteur et la création d’un service public de l’énergie, décentralisé et sous contrôle démocratique des travailleurs et des usagers.
La population japonaise paie aujourd’hui au prix fort l’irresponsabilité du lobby nucléocrate. La catastrophe de Fukushima est loin d’être jugulée ; elle s’installe dans la durée. La campagne internationale de solidarité que soutient le NPA doit s’étendre en conséquence. Plusieurs milliers d’euros ont été collectés à ce jour. Un premier transfert de fonds a été ordonné, destiné à la section régionale Nord-Est du Conseil national des syndicats (NTUC). Cette coordination syndicale indépendante est active dans les régions sinistrées. Elle se mobilise en faveur des victimes avec d’autres organisations comme l’Union nationale interprofessionnelle des travailleurs (NUGW). Elles ont à cœur d’acheminer une aide concrète tout en défendant les droits des salariés et « petites gens » menacés dans leurs emplois, leurs salaires, leurs conditions de vie. Elles s’appuient sur l’expérience acquise par le mouvement ouvrier lors du grand tremblement de terre dans la région de Kobé, en 1995. Elles ont besoin de notre soutien. Maintenant.

Thomas Couderette, Clément Bruche et Pierre Rousset

De nombreuses informations sur la situation au Japon sont disponibles sur le site europe-solidaire.org
Pour les dons, envoyez vos chèques à ESSF, 2 rue Richard-Lenoir, 93108 Montreuil Cedex. Pour les virements, voir sur ESSF (article 20 666).

 
La part du nucléaire peut-elle augmenter ?

C'est quasiment impossible et ce pour plusieurs raisons.
La première est que de nombreux réacteurs vont fermer dans les années à venir : plus de la moitié des 435 réacteurs en service dans le monde approchent de leur fin de vie. On estime que d'ici la fin de 2030, plus de 300 réacteurs seront arrêtés pour une puissance cumulée de 260 GW, soit plus de 70 % du parc en activité à ce jour.
D'autre part, le déclin prochain de la production d'uranium pourrait conduire lui aussi à l'arrêt partiel de nombreux réacteurs. En effet, les réserves exploitables connues permettent de faire face à la demande actuelle pendant encore 50 ans maximum si aucun nouveau gisement n'est découvert.
Pourtant, d'innombrables reportages nous annoncent la « renaissance du nucléaire » et la construction de réacteurs partout dans le monde.
L’avenir n’est pas si radieux pour les VRP de l’atome, et après la catastrophe japonaise, cela risque encore de se compliquer.
La Chine, par exemple, avait annoncé 40 nouveaux réacteurs destinés à couvrir royalement 4 % de ses besoins électriques, c'est-à-dire 0, 7 % de sa consommation d'énergie ! (les données sont quasiment identiques pour l'Inde). Or la Chine dispose de l'un des plus gros potentiels de production d'énergies renouvelables de la planète (une récente étude du gouvernement chinois estime que la seule énergie éolienne suffirait à couvrir tous les besoins en électricité du pays). Sous la menace directe de la contamination radioactive, les populations chinoises, qui ces derniers jours se sont ruées sur les comprimés d’iode, vont-elles accepter la mise en chantier de dizaines de réacteurs nucléaires dans les prochaines années ?
Aux USA, où l'atome représente 20 % de l'électricité, soit moins de 4 % de la consommation totale d'énergie, la majorité des 103 réacteurs américains va fermer d’ici 20 ans. L'atome y restera, dans tous les cas de figure, une énergie marginale.
De plus, la crise financière mondiale ne favorise pas les lourds investissements que nécessite la construction de réacteurs nucléaires. D'ores et déjà, l'Afrique du Sud, qui annonçait pas moins de douze nouveaux réacteurs, a fait savoir que son programme était compromis. De même, le programme annoncé en Turquie est stoppé faute d'investisseurs.
Trop dangereux, inutile, ruineux, et de toute façon éphémère, le nucléaire n’est décidément pas une énergie d’avenir. Mais le puissant lobby qui la soutient fait prendre d’immenses risques à l’humanité. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d’attendre sa mort naturelle !

En France, malgré tout...

Nos dirigeants, de gauche comme de droite, tout à leur dévouement au système et aux intérêts de la classe dominante, continuent de prétendre que l'avenir réside dans le développement et le renouveau de la filière électro-nucléaire.
Une analyse sérieuse renvoie tous les arguments avancés à des mythes ou des stratégies de marketing :
1- L'indépendance énergétique : il n'y a plus d'uranium en France. La totalité est importée et cause l’exploitation et l'esclavage des populations autochtones du Niger ou du Gabon.
2- La haute technicité française : l'EPR (réacteur nucléaire de troisième génération), présenté comme le fleuron de notre industrie, connaît les pires déboires sur les chantiers de Finlande et de Flamanville. Les retards s’accumulent et alourdissent considérablement la facture d’une technologie déjà hors de prix.
L'EPR a d'ailleurs été recalé par l'émirat d'Abu Dhabi au profit de réacteurs sud-coréens, révélant au passage à l'opinion française que son industrie nucléaire n'était pas la « championne » si souvent vantée.
3- L'électricité bon marché : après avoir prétendu pendant des décennies que le prix de l'électricité nucléaire était très bas, EDF, désormais obligée par la loi d'en vendre une partie à ses concurrents, reconnaît subitement que cette électricité est très chère à produire. Conclusion : la facture électrique des ménages va augmenter comme jamais dans les prochaines années.
4- L'électricité inépuisable : Superphénix qui a coûté plus de 10 milliards d'euros et qui était censé faire du nucléaire une énergie « recyclable » n'a jamais fonctionné, avec des pannes à répétition qui font courir un risque insupportable aux populations. On a fini par le fermer sans qu’il n’ait jamais été capable de produire le moindre kWh.
5- L'irremplaçabilité : des études argumentées, publiées par le Réseau Sortir du nucléaire, prouvent qu'à investissement égal, on sait d'ores et déjà produire ou économiser deux fois plus d'électricité avec la maîtrise de l’énergie et les renouvelables qu'avec le nucléaire.
6- L'impact sur l'effet de serre : avec les milliers de camions et les moyens qu'il faut mettre en œuvre pour extraire, acheminer, transformer le minerai, c'est déjà discutable ! Mais compte tenu de la faible part du nucléaire dans l'énergie mondiale, l'argument tombe à plat.

L’opposition au nucléaire

Le mouvement antinucléaire est né après la Seconde Guerre mondiale, à la suite des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Les considérations écologiques étaient à cette époque secondaires et la contestation centrée sur le nucléaire militaire.
En France, en 1945, Joliot-Curie, membre du PCF et découvreur de la réaction en chaîne conduisant à la fission, est nommé haut commissaire à l'énergie atomique. Il lance en 1950 l'appel de Stockholm qui visait à interdire la bombe nucléaire dans le monde.
En 1958, la première marche d'opposition aux armes nucléaires a lieu en Angleterre contre une usine de fabrication de missiles nucléaires.
Le Mouvement contre l'arme atomique (MCAA) est créé en 1963. Plus de 150 pays (à l'exception de la Chine et de la France) signent le « traité d'interdiction partielle des essais nucléaires » proposant l'arrêt des essais atomiques atmosphériques. Ce mouvement est notamment soutenu par des militants en rupture avec la SFIO et le PCF. Une autre organisation est créée par le PCF, le Mouvement de la paix contre la bombe atomique. Mais celle-ci est destinée à soutenir la politique étrangère de l’URSS et ne remet en cause que les bombes américaines et françaises. Plus généralement, à cette époque, toute la classe politique française fait preuve d'une belle unité scientiste, nationaliste et pro-nucléaire, tandis que se pratiquent de façon discrète des essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie française, loin de la métropole.

Années 1970 : l’opposition au « nucléaire civil »
L'apparition de sensibilités environnementalistes ouvre le débat sur les conséquences de l'utilisation de technologies comme l'énergie nucléaire. Les premières manifestations contre le nucléaire civil ont lieu à Fessenheim (1971), au Bugey, et contre Superphénix à Creys-Malville, sans donner lieu à la création d'un réseau structuré. Le mouvement de contestation se voit contrecarré par le premier choc pétrolier (1973) qui confirme le choix du nucléaire comme outil d’indépendance énergétique. Les projets de construction de centrales envahissent alors tout le territoire.
L'été 1977 est marqué par le rassemblement du Larzac (50 000 personnes) et par la manifestation de 60 000 personnes contre Superphénix à Malville qui est sauvagement réprimée, causant des blessés graves et la mort d'un militant : c'est l'éclosion d'un mouvement antinucléaire autonome qui dénonce le nucléaire soutenu par une société policière à la solde du capital.
1979 : premier accident nucléaire majeur à Three Mile Island aux États-Unis avec la fonte du cœur d'un réacteur qui occasionne l'évacuation de 300 000 personnes.

Années 1980 : les déceptions de la gauche au pouvoir
Lorsque la gauche arrive au pouvoir, l'opposition à l'énergie nucléaire s'exprime sur des bases environnementales : pollution des rivières, accidents de réacteurs connus ou potentiels, fuites de produits radioactifs, stockage ou traitement des déchets radioactifs à long terme. Le projet de centrale de Plogoff, à la suite de très fortes mobilisations, est abandonné, mais pas le programme nucléaire français, contrairement aux déclarations électorales antinucléaires du PS. Le mouvement antinucléaire est le premier à s'opposer à la gauche au pouvoir qui cherche à récupérer ses principaux leaders pour le neutraliser. Le parti des Verts est créé en 1984, et de nombreux militants antinucléaires déçus par le comportement du gouvernement le rejoignent.
La catastrophe de Tchernobyl en 1986, deuxième grande catastrophe nucléaire, relance le débat et la lutte. En 1987, Didier Anger, antinucléaire historique des Verts, tente de structurer les luttes locales qui s'opposent aux nouvelles constructions pour faire émerger un « réseau pour un avenir sans nucléaire ». Dans le même temps, deux laboratoires d'analyses indépendants de radioactivité voient le jour : l’Arco et la CRI-RAD.
En 1997, Jospin offre aux Verts, nouvellement intégrés dans le gouvernement, une victoire politique en annoncant l'arrêt du Superphénix, en réalité un véritable gouffre financier ! Voynet donne en 2000 l'autorisation d'enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) et met en route la recherche de nouveaux sites qui rencontre une opposition farouche des antinucléaires.
Le Réseau Sortir du nucléaire est créé dans la foulée de la fermeture de Superphénix à partir de comités antinucléaires locaux, de collectifs contre l'enfouissement de déchets, de groupes locaux des Verts, d'associations environnementales, d'un groupe libertaire de Toulouse et de la LCR. 873 organisations sont aujourd'hui signataires de la charte du Réseau qui anime et coordonne la lutte et s'oppose à tous les nouveaux projets de l'industrie nucléaire en France comme à l'étranger (EPR, ligne haute tension, Iter...).

En Europe, l'Union mondiale pour la protection de la vie  mène depuis 1958 des campagnes contre les centrales nucléaires. L'Autriche, la Suède (1979), la Belgique (1999) ont successivement renoncé à l'énergie nucléaire. En Allemagne (2000), sous l'influence des mouvements antinucléaires, les gouvernements ont décidé d'abandonner la filière progressivement et de ne pas construire de nouvelles centrales. Les transports de matières radioactives sont entourés de manifestations fortement médiatisées et d'un important dispositif policier, notament ceux de l'usine Areva de La Hague vers le centre de stockage de Gorleben.
Le mouvement antinucléaire français s’est principalement construit autour de mobilisations locales, parfois massives, contre la construction des centrales. Une fois la France dotée d’un parc nucléaire conséquent, le mouvement antinucléaire a décru avec le nombre de chantiers de construction. Nous sommes aujourd’hui devant une échéance qui doit nous inciter à œuvrer pour la renaissance d’un mouvement combatif. En effet, de nombreuses centrales vont avoir 30 ans, durée de vie initialement prévue. Mais pour engranger toujours plus de profits, EDF souhaite prolonger de dix ans cette durée de vie. Le dramatique accident de Fukushima nous rappelle que le nucléaire ne sera jamais une industrie comme les autres. Nous devons donc refuser cet allongement de durée de vie et porter haut et fort la contestation contre l’énergie nucléaire en réclamant une sortie rapide de cette énergie mortifère.

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